Organiser le fret ferroviaire pour demain

Le rap­port du Con­seil fédé­ral inti­tulé «Future ori­en­ta­ti­on du trans­port fer­ro­vi­ai­re de mar­chan­di­ses sur l’ensemble du ter­ri­toire»[1] du 30 mars 2022 a offert une occa­si­on bien­ve­nue de repen­ser glo­ba­le­ment le sys­tème de trans­port fer­ro­vi­ai­re de mar­chan­di­ses suis­se avec sa con­cur­rence inter­mo­da­le et ses pro­ces­sus inter­sys­tè­mes. Une nou­vel­le con­cep­ti­on holis­tique ne se can­ton­ne pas à un finance­ment (de départ) du TWCI ou au DAC, mais eng­lo­be tous les pro­ces­sus, instru­ments d’incitation, méca­nis­mes de mar­ché et inter­faces de logis­tique de fret mul­ti­mo­da­le en Suisse.

Elle doit avoir pour but un sys­tème de trans­port fer­ro­vi­ai­re de mar­chan­di­ses auto­no­me basé sur le mar­ché, qui intèg­re sans dis­cri­mi­na­ti­on tous les opé­ra­teurs de fret fer­ro­vi­ai­re sur la base d’une con­cur­rence intra­mo­da­le et qui se tient aux côtés des char­geurs en tant que par­ten­aire fia­ble. Dans ce con­tex­te, un éven­tuel finance­ment selon le modè­le éprou­vé dans le tra­fic de tran­sit doit en pre­mier lieu pro­fi­ter aux cli­ents de tous les opé­ra­teurs de fret fer­ro­vi­ai­re et offrir des inci­ta­ti­ons liées au suc­cès et neu­tres en ter­mes de con­cur­rence, sans aucu­ne dis­cri­mi­na­ti­on. C’est seu­le­ment ainsi et en regrou­pant les forces que pour­ront se déve­lo­p­per les inno­va­tions et les inves­tis­se­ments du sec­teur privé dans le trans­port fer­ro­vi­ai­re de mar­chan­di­ses. Et ce n’est qu’ainsi qu’il sera pos­si­ble d’organiser le trans­port fer­ro­vi­ai­re de mar­chan­di­ses sur l’ensemble du ter­ri­toire pour demain.

Le Conseil fédéral envisage d’instaurer un soutien financier sur le long terme

Selon le rap­port, le Con­seil fédé­ral envi­sa­ge de main­te­nir dans l’avenir le tra­fic par wagons com­plets iso­lés (TWCI) et n’exclut pas un sou­ti­en finan­cier sur le long terme. Selon la défi­ni­ti­on de l’Office fédé­ral des trans­ports (OFT), le tra­fic fer­ro­vi­ai­re de mar­chan­di­ses sur l’ensemble du ter­ri­toire eng­lo­be le trans­port de grou­pes de mar­chan­di­ses en tra­fic com­bi­né non accom­pa­gné (TCNA) et par wagons de mar­chan­di­ses con­ven­ti­on­nels regrou­pés pour le par­cours principal.

Dans leur rap­port finan­cier 2021[2], les con­seils d’administration de CFF SA et de CFF Cargo SA esti­ment qu’un sub­ven­ti­on­ne­ment de leur offre de fret fer­ro­vi­ai­re est néces­saire et pro­ba­ble. Le Con­seil fédé­ral et les ent­re­pri­ses fédé­ra­les sem­blent donc être d’accord sur la néces­si­té de sou­te­nir finan­ciè­re­ment le trans­port fer­ro­vi­ai­re de mar­chan­di­ses sur l’ensemble du ter­ri­toire. Néan­mo­ins, leur esti­ma­ti­on des volu­mes et de la finan­ça­bi­li­té s’appuie uni­quement sur les indi­ca­ti­ons de CFF Cargo. Les aut­res opé­ra­teurs de fret fer­ro­vi­ai­re, majo­ri­taire­ment pri­vés, ne sont pas pris en comp­te dans cette ana­ly­se. Nous som­mes d’avis qu’il est urgent de chan­ger de point de vue.

Adopter une nouvelle perspective

Depuis la réfor­me fer­ro­vi­ai­re 1 de 1999, le trans­port fer­ro­vi­ai­re de mar­chan­di­ses sur l’ensemble du ter­ri­toire est opéré par CFF Cargo en mono­po­le – sans grand suc­cès, comme le mont­re un bilan éta­b­li 25 ans après la décis­i­on du Par­le­ment. Cela doit chan­ger. En unis­sant leurs forces et sous l’égide de la Com­mun­au­té d’intérêts Tra­fic par wagons com­plets (CI TWC )[3], les opé­ra­teurs de fret fer­ro­vi­ai­re actifs dans toute la Suis­se et leurs cli­ents sont à même de repen­ser le trans­port fer­ro­vi­ai­re de mar­chan­di­ses dans le pays.

Illus­tra­ti­on 1, page 51 du rap­port “Future ori­en­ta­ti­on du trans­port fer­ro­vi­ai­re de mar­chan­di­ses sur le territoire”.

Le rap­port pré­sen­te deux gran­des ori­en­ta­ti­ons pour le déve­lo­p­pe­ment du trans­port fer­ro­vi­ai­re de mar­chan­di­ses sur l’ensemble du ter­ri­toire (llus­tra­ti­on 1): l’une com­prend l’arrêt du TWCI, l’autre l’encouragement finan­cier du TWCI. Du point de vue de la VAP, c’est là une visi­on réduc­tri­ce. Un chan­ge­ment de per­spec­ti­ve est néces­saire à deux égards: pre­miè­re­ment, les acteurs doi­vent redé­fi­nir la maniè­re dont ils con­çoi­vent leur rôle et repen­ser leurs pro­ces­sus. Deu­xiè­me­ment, la situa­ti­on finan­ciè­re doit être con­sidé­rée d’un point de vue neu­tre. En effet, ni les pro­grès tech­ni­ques envi­sa­gés (mot-clé: cou­pla­ge auto­ma­tique digi­tal DAC), ni la visi­on pure­ment inter­ne de CFF Cargo ne pour­ront con­dui­re à une réor­ga­ni­sa­ti­on. Celle-ci dev­rait d’ailleurs être au cent­re de la dis­cus­sion sur l’avenir qui est en cours. La forme d’organisation pré­sen­tée dans le rap­port (Illus­tra­ti­on 2) con­sti­tue une base de réfle­xi­on per­met­tant d’élaborer d’autres vari­an­tes d’orientation.

Illus­tra­ti­on 2, page 50 du rap­port “Future ori­en­ta­ti­on du trans­port fer­ro­vi­ai­re de mar­chan­di­ses sur l’en­sem­ble du territoire”.

Décider sur la base des faits

Pour éva­luer le beso­in de finance­ment du fret fer­ro­vi­ai­re sur l’ensemble du ter­ri­toire, il faut impé­ra­ti­ve­ment s’appuyer sur une ana­ly­se de la ren­ta­bi­li­té réa­li­sée par des experts exter­nes neutres.

S’il s’avère que le trans­port fer­ro­vi­ai­re de mar­chan­di­ses n’est pas ren­ta­ble, il con­vi­ent de distin­guer si cela est dû à la posi­ti­on mono­po­lis­tique de CFF Cargo ou au sys­tème lui-même. La tier­ce par­tie neu­tre doit en outre véri­fier si l’autofinancement tel qu’il est exigé par la loi sur le trans­port de mar­chan­di­ses (LTM[4]) est actu­el­le­ment recher­ché. Ce n’est que lorsqu’il dis­po­se­ra d’une ana­ly­se détail­lée de la situa­ti­on actu­el­le que le Par­le­ment pour­ra se pro­non­cer sur les mesu­res à prend­re en conséquence.

Limiter le financement dans le temps

S’il res­sort qu’un sou­ti­en finan­cier est indé­nia­blem­ent indi­qué, celui-ci doit être con­sidé­ré comme un finance­ment limi­té dans le temps pour une nou­vel­le con­cep­ti­on fon­da­men­ta­le – et non comme un sub­ven­ti­on­ne­ment per­ma­nent. Un finance­ment de départ limi­té dans le temps peut sou­te­nir la mise en place d’un sys­tème de fret fer­ro­vi­ai­re ori­en­té vers la con­cur­rence jusqu’à ce que sa digi­ta­li­sa­ti­on et son auto­ma­tis­a­ti­on simul­ta­nées et la mise en ser­vice de nou­veaux élé­ments de réseau de l’étape d’aménagement 2035 soi­ent ache­vées. En revan­che, un sou­ti­en dura­ble annu­lerait les inci­ta­ti­ons de l’économie de mar­ché en faveur de la com­pé­ti­ti­vi­té et de l’autofinancement du TWCI et ren­drait impos­si­ble le déve­lo­p­pe­ment du trans­port fer­ro­vi­ai­re de mar­chan­di­ses en Suisse.

 

[1] «Future ori­en­ta­ti­on du trans­port fer­ro­vi­ai­re de mar­chan­di­ses sur l’ensemble du ter­ri­toire», rap­port du Con­seil fédé­ral don­nant suite au pos­tu­lat 21.3597 de la CTT‑E du 10 mai 2021. En adop­tant en 1999 la réfor­me des chem­ins de fer 1, le Par­le­ment a trans­fé­ré à CFF Cargo SA le mono­po­le de l’exploitation du trans­port fer­ro­vi­ai­re de mar­chan­di­ses sur l’ensemble du ter­ri­toire. La part de CFF Cargo dans le fret fer­ro­vi­ai­re dans le tra­fic inté­ri­eur, d’import et d’export est de quel­que 60 %. Les 40 % restants sont des trans­ports directs par wagons com­plets réa­li­sés via des voies de rac­cor­de­ment et des terminaux.

[2] «Rap­port finan­cier des CFF 2021», cha­pit­re «Valo­ri­sa­ti­ons incer­tai­nes par rap­port à la crise sani­taire et à Cargo Suis­se», p. 84

[3] La Com­mun­au­té d’intérêts Tra­fic par wagons com­plets (CI TWC) a été fon­dée en 2018. Elle défend les inté­rêts de l’UTP, de CFF Cargo et de la VAP avec pour mis­si­on de moder­nis­er le fret fer­ro­vi­ai­re sur l’ensemble du ter­ri­toire et de le rend­re plus effi­cace, con­for­mé­ment à l’art. 3a de la loi sur le trans­port de mar­chan­di­ses. Pré­si­dent: Frank Fur­rer, secré­tai­re géné­ral de la VAP, vice-pré­si­den­te: Dési­rée Baer, CEO CFF Cargo –> Artic­les sur la CI TWC.

[4] «Loi fédé­ra­le sur le trans­port de mar­chan­di­ses par des ent­re­pri­ses de che­min de fer, de trans­port à câbles ou de navi­ga­ti­on (loi sur le trans­port de mar­chan­di­ses, LTM)» art. 2 al. 2

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